29 avril 2023, Retour en Martinique, St Pierre

Quelques heures de navigation, du sud de la Dominique au nord de la Martinique.
A nouveau, nous voici dans les eaux françaises.
Et bientôt, ancrés dans la baie de Saint Pierre, devant un modeste bourg dont il est difficile d’imaginer le prestige d’autrefois ; Saint Pierre, la plus grande ville de l’île, appelée  avec pompe «Le petit Paris des Antilles », « la Venise des Tropiques »…

Fondée en 1635 à l’aide de 150 colons, la ville se développe vite grâce aux cultures du tabac, café, cacao, canne à sucre, jusqu’à devenir un rouage essentiel du fameux commerce triangulaire, Europe, Antilles, Amérique.
Une ville riche qui, bientôt, phénomène rare, peut se permettre le luxe de la pierre…
Fort, batteries, magasins portuaires, églises, couvent des Ursulines, palais du gouverneur, prisons, bourse du commerce fleurissent au cours des ans, couronné par un théâtre de 800 places, bâti en 1786 sur le modèle de celui de Bordeaux.
La ville, de plus en plus prospère, devient rapidement le centre économique et culturel des Antilles. Le théâtre est tout particulièrement emblématique de cette vie sociale et mondaine, recevant des hôtes de marque, présentant des spectacles venus d’Europe, témoignant de l’évolution de la mentalité des colonies.

Mais, comme dans un conte, celui qui a trop reçu peut dans l’instant tout perdre….
Fragilité de tout équilibre de bonheur.
Plusieurs fois, des cyclones dévastateurs, des vagues tsunami, des colères de la Montagne Pelée toute proche, ont ébranlé cette belle assurance. Ainsi, le théâtre, très endommagé par un cyclone en 1891, venait seulement d’être remis en état en 1900, à la veille du drame qui emporta la ville et ses 28 000 habitants le 8 mai 1902…

St Pierre n’est pas Pompéi, mais la tragédie qui s’y est déroulée laisse en proie aux mêmes émotions, aux mêmes interrogations….
Pour quelles raisons, alors que depuis un mois, les signes annonciateurs d’une éruption volcanique s’accumulaient, pour qu’elles raisons  les responsables de la cité n’ont-ils pas décidé une évacuation générale ?… Comment l’homme peut-il être aussi aveugle, aussi attaché à des intérêts secondaires ? Comment peut-on décider de bâtir à nouveau une nouvelle cité, sur l’emplacement des ruines de la précédente ?  La peur du toujours possible ne suffit-elle donc pas à dissuader ? L’expérience est de fait impuissante à protéger ? L’être humain est habité de résignation ? Fondamentalement fataliste ?
Ou bien existe-t-il une fascination pour la menace du danger qui nous dépasse ?…

Sentiment de malaise…
Une ville que je ne pourrais habiter, mi- construite, mi détruite, qui vit dans le souvenir de cette tragédie de 1902, une ville sans insouciance possible, entravée dans sa force de vie par la mémoire entretenue du danger, qui, sournois, peut sans prévenir répéter les cauchemars des siècles passés…
Étrange impression que de monter les marches de l’escalier du théâtre, de pénétrer dans un jeu de l’oie de pierres noires en ruine, de contempler la rade en songeant aux dizaines de navires dont les épaves achèvent de rouiller à quelques mètres du rivage…

Heureuse de retrouver le pont du bateau, d’où la vue sur la montagne pelée, aux contours si harmonieux, impressionne.
La beauté sereine qui enveloppe la force de mort …

 

 

 

 

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