30 avril 2023, de St Pierre à l’anse de l’Âne.

Dimanche ! Vite, la messe de 8 heures !
Je garde un souvenir ému des célébrations religieuses aux Antilles et me fais une joie d’assister une fois encore à ces fêtes que sont ici les retrouvailles dominicales avec le Seigneur. Les gens arrivent joyeux, une guitare sous le bras, un panier à la main.
L’église, ouverte de tous côtés sur l’extérieur, est remplie jusque sur les bancs extérieurs,  installés sous le haut-vent. Je regarde les petites filles sages toutes de blanc vêtue s’avancer dans l’allée, jusqu’au pied de l’autel, où sont installés musiciens et chanteurs. Une quinzaine de personnes, un véritable orchestre, qui répète avec enthousiasme en attendant que débute la cérémonie.

Je regarde avec tendresse ces femmes de tous âges qui ont soigné leur parure, certaines portant des chapeaux (autrefois interdits, seule la coiffe en madras était autorisée aux femmes de couleur…), des belles boucles créole, et des guipures immaculées, ces femmes que l’on pourrait qualifier « d’endimanchées », et c’est justement ce qui me touche. Cette notion de respect et de liesse à la fois. Faire un effort pour l’Autre. Se faire belle pour l’honorer.
Des préoccupations qui se sont perdues dans la métropole…

Guitares, tam-tam, percussions, commencent à s’animer et la foule des paroissiens, comme électrisée, se tourne vers le portail, d’où arrive une procession d’une dizaine d’enfants de chœur en chasuble plissées, et aubes brodées, portant croix et cierges, et que suivent deux prêtres vêtus de blanc.

 

Le chant, rythmé par des claquements de mains, envahit peu à peu tout l’espace, et je m’amuse de constater combien est original ce mélange de pompe dans le rite et de spontanéité dans son expression. L’envie de danser se communique d’un rang à un autre, les corps se balancent, les mains s’agitent, les voix s’élèvent,  et les éventails claquent, se referment et claquent encore.

Papa Bon Dié, Roi dans siel la,
Bon Dié nou-dwé ou Respé é pi lon- né…

Les paroles créoles retentissent entre deux lectures, on écoute, le prêtre prononce son homélie, fait rire ses paroissiens, qu’il connaît bien, déroule la litanie des défunts récents, -Firmin, Lisette, Hippolyte, Félicien et Placide -,  et on chante et on danse encore et encore. Presque deux heures de messe, deux heures de Joie et d’action de grâce. Pour le soleil et la pluie. Les annonces se prolongent, les  messes de la semaine, le déjeuner pique-nique, un projet de pèlerinage et les JMJ de Lisbonne. Tout est fête !
Cette joie me frappe.
La foi s’exprime comme une fête et non comme un devoir ou une habitude…Une dimension qui épanouit.
On prie pour les vocations, pour de nouveaux religieux à envoyer comme pasteurs bien au-delà de la Martinique car le monde entier a tant besoin de jeunes prêtres…
On prie aussi pour l’abolition de l’esprit d’esclavage, pour des droits égaux pour tous, pour une utopie finalement propre à l’église et aux régimes totalitaires, mais vécue telle une aspiration un  peu folle pour les premiers, un impératif source d’oppression pour les seconds…

Devant le parvis de l’église, une femme attend devant le coffre de sa voiture, prête à vendre sa cargaison de petits pains fourrés, créant un attroupement de femmes bavardes. Je remarque une vieille dame très élégante que j’aborde espérant pouvoir la prendre en photo ;  Andrée refuse d’accéder à ma requête mais entame une conversation intéressante, nous révélant, par ses anecdotes, l’aspect vivant de ce lieu. Pour nous, elle fait revivre les années de guerre, quand les hommes quittaient l’île, les nuit sans lune, embarqués sur de frêles esquifs, en direction de la Dominica, terre anglaise sur laquelle s’organisait la  résistance. Elle nous retrace l’émotion de toute l’île, de toute la ville, de toute sa famille, quand un jour, visite inespérée, « le grand homme » est venu jusqu’à eux. Des heures avant le discours du Général, elle avait installée sa vieille Maman sur un promontoire de la place Bertin. Et puis, toute cette marée humaine,  et « cette tête qui seule dépassait »…  La vielle dame est presque encore émue en nous évoquant ce courant électrique de sympathie qui les reliait tous.
Une époque où les hommes qui dirigeaient la France avaient un sens aigu de leur responsabilité, du modèle qu’ils représentaient…

Encore quelques heures de navigation pour arriver dans la baie de Fort-de-France, en face de la ville, là où se niche la si jolie, si sauvage, Anse de l’âne, que l’on croirait sortie d’un livre illustré de Robinson Crusoé.
Personne en ce dernier  dimanche d’avril…
À la nage jusqu’à la plage, pour oublier le temps, attentifs au seul rythme de l’astre solaire…
Et puis, la nuit tombe, et le ciel des tropiques danse à nouveau au dessus du pont. Et sous nos pieds, toujours, ce roulis qui berce, qui berce, qui berce…

 

 

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