Bernskastel et le souvenir des ravages du Palatinat

Dans une boucle de la Moselle, entourée de coteaux couverts de vignes, s’étend le ravissant village de Bernkastel.
Les guides évoquent une petite place en pente, entourée de maisons à colombage du XVII ème, au centre de laquelle, un Saint Michel près à transpercer le dragon, domine une fontaine.
Cela, je l’ai découvert sans guide, dans l’émerveillement de la nuit, fouettée par le tourbillon des flocons et éclaboussées des lumières de l´Avent!
La peur de la longue nuit de l’hiver, la crainte inexprimée de la disparition du soleil, ont fait de la lumière le trésor des nuits du Nord et de l’Est de l’Europe. Elle inonde les ruelles et les places des marchés, elle donne vit à l’obscurité, elle est la joie de vivre, plus forte que les forces de la mort.
En levant la tête sur les ruines du château qui n’est plus, dans la nuit, qu’une immense étoile jaune, en empruntant les ruelles baignées d’or de la ville, en arrivant sur la place du marché, j’ai en un instant saisi cet espoir qu’est Noël !
J’ai reçu toute cette lumière comme un immense réconfort, comme une chaleur vivifiante, comme un présent inattendu !

Ici, c’est toute la ville qui, vingt-quatre jours durant, est en fête, les petits chalets de Noël perdus dans un décor naturel qui leur sert d’écrin.
Comment imaginer cette façade transformée en calendrier de l’Avent, ce tourniquet géant qui brasse les flocons, ces noeuds rouges aux rebords des fenêtres, ces branches de sapin qui tombent en cascade des balcons, ces étoiles suspendues entre deux maisons, ces immenses sapins dans les rues, sur les places, devant le seuil des maisons…
J’éprouve l’impression étrange de redevenir enfant, de pénétrer dans la page d’illustration d’un conte nordique…

Et pourtant, l’éternelle lumière de Noël ne masque pas complètement les douloureux souvenirs du passé…
Ici, au bout du village fortifié, une tour, de faible dimension, ferme la ville; gravés sur une plaque, quelques mots rappellent qu’autrefois, la tour fut bien plus haute…
Cet autrefois nous ramène au XVII ème, aux guerres menées par Louis XIV contre l’Empereur germanique Léopold Ier de Habsbourg, bientôt associé à tous les princes allemands, aux abominations menées par les ministres du roi de France, Turenne tout d’abord, en 1674, puis Louvois, en 1689.
Les tristement célèbres « ravage, puis sac du Palatinat »…
Comment imaginer qu’un pays civilisé ait pu organiser une destruction aussi méthodique des villages et des villes, comment imaginer les églises rasées, les fortifications détruites, les cultures incendiées ?
«  Plus âme qui vive », se félicite Turenne, qui a, heureusement, imposé l’exil de la population.
Comment concevoir cette terreur organisée, en une période de relatif adoucissement des conflits, sans que la haine religieuse ou l’état des finances ne la justifient ?…
A feu et à sang, entre pays chrétiens…
Les croisés de 1204 avaient certes déjà, ravagé une ville chrétienne…
Des exactions systématiques, menées à grande ampleur, et qui soulèvent l’indignation d’un Voltaire, et de l’Europe entière. Turenne, Louvois, par ces horreurs, terrorisent les populations indociles, frappent les esprits, assurent la victoire militaire à la France, mais consacrent la défaite politique de Louis XIV.
Ce sentiment d’horreur laissera des traces.
Nous avons un peu oublié ces épisodes dramatiques, qui sont pourtant très certainement à l’origine des relations conflictuelles entre nos deux pays, jusqu’aux prémisses de la construction européenne, au lendemain de la seconde guerre mondiale…

Je me revois savourant les écrits de Saint Simon, et riant aux propos truculents de la Princesse Palatine, la jeune Liselotte, fille du grand ennemi du roi de France, devenue par son mariage avec Philippe Orléans, le frère de Louis XIV, la belle-sœur de celui ci… Convertie au catholicisme, elle restera toujours, dans le fond de son cœur, protestante et allemande, attachée à son Heidelberg natal, à la nature, à sa liberté. Profondément meurtrie par les ravages du Palatinat, elle pleurera la mort de son père , puis de son frère, du fait du roi de France…
Son franc-parler n’empêchera pas le respect pour son roi, et Louis XIV appréciera Madame, au point de lui assurer un veuvage à l’abri de tout tracas.
Complexité et richesse des rapports humains…

Je rebrousse chemin, songeuse, pour retourner dans les lumières de la ville, si joyeuse avec ses senteurs de vin chaud et ses étoiles suspendues entre deux façades.
Ainsi va la vie !

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