Au café, un dimanche d’automne

Il s’est assis et a ouvert le carnet.
Il regarde la date, et constate qu’il y a bien longtemps qu’ il ne l’avait plus ouvert.
Un carnet “fourre-tout”, où il a consigné dans le désordre, les moments de flottement, les grands bonheurs, les recettes de cuisine, les états d’âme, les rêves ou les livres à acheter…Rien n’est plus “lui” que ce carnet sans logique. Tout un kaléidoscope des facettes de lui même, aussi essentielles l’une que l’autre.
Il tourne la page.
Blanche.
Ouvre son stylo, inscrit le lieu, la date, le referme en cherchant le serveur des yeux.
Repose le stylo. Attend.
L’attente aussi est importante.
Il sait très bien ce qu’il va écrire, mais, comme les asiatiques, il a besoin de regarder autour de lui, dans la banalité de ce dimanche matin, pour que montent en lui les mots, comme jaillit un geyser qui a longtemps sommeillé sous la terre.
Derrière la vitre, passent des gens…
Certains serrent dans la main une brassée de rameaux, d’autres courent sur le trottoir, moulés dans leurs collants de sport, d’autres encore s’arrêtent au kiosque, pour acheter la presse.
Une femme passe, le regard las, trop couverte dans son manteau d’hiver.
Des jeunes filles traversent la rue, les yeux rivés sur leur écran.
Une gamine rit à son portable, éclatante de promesses.
Sur le trottoir d’en face, un vieil homme avance péniblement, appuyé sur sa canne.
Regards. Il suit un moment la démarche hésitante, et comprend subitement à quel point il a soif de vivre, avant cette sagesse là !
Il retire le capuchon du stylo, et se penche sur la feuille.
Le bruit de la plume crissant sur le papier, la vue de l’encre fraîche sur la blancheur immaculée, lui procure toujours une sensation de réconfort ; nait en lui la joie du “possible”, du devenir en marche…

Au café, un dimanche d’automne

“Je crois ne pas me tromper en pensant que quelque chose , imperceptible et cependant essentiel, s’est produit hier.
Quelque chose que j’attendais depuis très longtemps, car je ne doutais pas, qu’ un jour, je serai libéré de cette force là.
De ce tourbillon là, de cette tempête là, de cet ouragan intérieur.
De ce vertige là.
De cet étonnement là, ” mais pourquoi Elle ?”
De ce dérèglement là, si perturbant.
Que l’on a pas choisi, et avec lequel il faut bien se débrouiller.
Conciliant. Par nécessité.
Apprivoiser le feu dans sa vie sereine, et le rendre lumière.
En profiter pour relire les classiques avec une autre perception.
La passion qui ravage…
Quelque chose, dans l’amour est profondément, déstabilisant, car il nous enlève à nous même, faisant de nous notre propre ennemi.
Plus aucune confiance. Surveiller l’autre qui vit en nous, traître à nous même.”
Il pose à nouveau le stylo, et avale une gorgée de crème chaud. Lui revient à la mémoire ce roman de Benoîte Groult, ce couple si mal assorti que seule la passion ose envisager de réunir ! L’amour est un moteur fort, capable d’engendrer les plus grandes révolutions, une force qui balaie d’un souffle les barrières que sont les classes , les couleurs de peaux, les âges de la vie …
Toutes les digues que la vie impose, effondrées en un instant .
Louis malle l’a si bien décrit dans son film “les amants”: cette voitures qui emporte, dans la froidure d’un petit matin blême, deux inconnus à présent soudés par la tempête de leur désir. De leur sentiment, peut être, aussi, déjà.
” Se méfier de l’amour… Qui vous surprend toujours par traîtrise, sans prévenir.
Aujourd’hui, cependant, je le sens, je commence à respirer plus calmement.
Enfin ce nouveau regard, hier, sur Elle.
Désiré.
Redouté, aussi, bien sûr.
Serais je enfin désenvoûté ?
Quelle danse de chamane m’a enfin libéré ?
De quoi est fait le désamour ?
Quel est la nature de ce regard, capable de rompre les chaînes?
Un visage chiffonné, une tenue négligée, un cheveux en bataille, cette tâche de sueur, si discrète cependant, sur son chemisier?…
Comment le regard peut il ainsi se transformer ?…
Je savais qu’un jour, je me réveillerai, comme on s’éveille d’un rêve, avec le regard interrogateur de la reine du “songe d’une nuit d’été”, toute étonnée de contempler le corps endormi d’un âne blotti contre son flanc…
D’un âne, mais comment est ce possible?…
Je respire plus calmement, le battement du coeur s’apaise, je me réapprovisionne…
Rassuré, mais déjà, si vite, habité d’une certaine tristesse…”
Autour de lui, indifférente, la rumeur du café le berce.
Il regarde sa montre. Il est temps de rentrer.
Raisonnable. Il redevient raisonnable.
Et, dans un soupir, il se lève de sa chaise.

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